Variations

Lire Morizot, c’est s’interroger sur nos liens avec les éponges et les autres espèces dans leur ensemble. C’est se demander quelles sont les mémoires profondes, physiques et psychiques, qui nous unissent aux multiples formes des vivants. C’est accepter que nous ne soyons pas seuls dans notre jardin parce qu’en réalité nous y sommes des milliers et que le soi-tout-seul n’a pas à prendre de décisions pour l’ensemble des individus qu’il côtoie. C’est donc éminemment troublant et à rebours de ce qui se pratique le plus couramment : pensée unique et appauvrie qui débouche sur une manière unique et appauvrie d’être au monde, celle qui nous plonge dans une perception mutique de l’altérité.
Oui, lire Manières d’être vivants, c’est se rafraîchir la mémoire sur une réalité qui semble nous échapper : nous, humains, ne sommes qu’une infime variation dans une immense symphonie.

En biologie, on ne peut pas récuser la thèse suivant laquelle il existe une chance, même infime, que de chaque espèce actuelle jusqu’aux plus apparemment simples, population en danger ou florissante, puissent émerger, dans quelques dizaines ou centaines de millions d’années, des formes de vies qui auraient des traits analogues à ceux que l’on valorise le plus dans l’espèce humaine, sous des formes inouïes : des styles de bienveillance et d’amour, des consciences de soi, des facultés de culture, de coopération, des formes d’éthique, des capacités à cohabiter sur la planète en bonne intelligence avec les autres formes de vie, et des intelligences foudroyantes au pluriel. Et la « liberté », ou en tout cas ce à quoi l’on donne ce nom dans l’espèce humaine – qui rend capable du meilleur comme du pire.

Manières d’être vivant – Baptiste Morizot – Ed Actes Sud

 

Cette publication a un commentaire

  1. Zoë Lucider

    Il est vrai qu’une civilisation mécaniste et qui plus est accumulatrice ne peut que nous couper des liens sensoriels qui nous unissent au vivant. Et nous voilà bien dépourvus quand le virus fut venu

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